La Passio imaginis Salvatoris est la première réitération de l’accusation de déicide imputée aux juifs (787). Repris et répété sans relâche, traversant au fils du temps des registres fort divers de la production littéraire, de la liturgie romaine et byzantine (avant 1000), en passant par les miracles de la Vierge du nord de la France (avant 1200), aux manuels scolaires de l’Université de Paris (avant 1300), le texte est aux origines du fait d’accuser l’autrui et précède aux accusations de meurtre rituel (XIe-XXe siècles). Précurseur de l’accusation d’infanticide, d’homicide, d’ennemi du genre humain, son actualisation est d’une redoutable logique et fut reprise, dès l’invention de l’imprimerie, dans un cadre savant par les grandes entreprises éditoriales de l’époque moderne (XVIe et XVIIe siècles). Décrire sa transmission, ses rebondissements, ses versions, ainsi que donner l’édition de son archétype, doit nous mieux renseigner sur les coulisses de sa propagande.
L’édition critique dans le Corpus Christianorum (Brepols) de l’archétype latin de la Passio imaginis Salvatoris, élargie aux autres versions latines, est prévue pour le printemps 2021. La tenue d’un colloque, qui devrait réunir les meilleurs spécialistes venus de différents domaines de la recherche, va accompagner à l’IRHT sa publication.
Afin de mesurer les ambitions du colloque, sont évoqués ici brièvement quelques points essentiels de l’histoire et de la transmission de la Passio imaginis Salvatoris. L’histoire de sa répétition écrite permet la critique de la chronologie du fait d’accuser en repoussant le début au dernier quart du VIIIe siècle, c’est-à-dire avant l’an 800.
Au regard de la répétition, il s’agit de la première réitération de l’accusation de déicide. En mettant en scène une communauté de juifs qui réitère la Passion du Christ, ne fût-ce qu’à travers une icône, non seulement l’accusation de déicide est renouvelée, mais elle redevient également d’actualité, de notre temps. S’il est légitime de poser la question de la première fois (et sa célébration), l’actualisation a une force irrésistible car elle remet le déicide dans le hic et nunc, dans le temps d’après l’accusation initiale, le temps du pèlerinage. Que le mot eikôn soit traduit en Occident par imago, que l’homme soit fait à l’image de Dieu, ne fait qu’amplifier la répétition. Associée à d’autres textes accusatoires, s’opère ainsi un glissement de déicide vers infanticide et, par extension, vers homicide, avant même les premiers passages à l’acte (XIIe siècle).
Connue d’abord du deuxième concile de Nicée (787) où la Passio est lue pour la première fois devant le rassemblement des ecclésiastiques, son histoire débute réellement une fois qu’elle fut extraite des Actes du concile pour servir de lecture pour la Dédicace de Saint-Jean du Latran (Xe siècle). Si l’on comprend encore mal la raison d’un tel choix de la part des moines de la basilique constantinienne, commence alors une transmission à maints rebondissements qui assure de génération à génération la continuité de sa lecture liturgique et extra-liturgique.
Lecture pour la Dédicace de l’Ecclesia mater (avant 1000), lecture pour l’Exaltation de la Croix et réemploi pour le culte du vrai sang du Christ dit e latere (avant 1100), l’insertion dans des collections de miracles de la Vierge (avant 1200), l’insertion dans les abrégés des sommes de saints et les compilations d’exempla pour la prédication universitaire (avant 1300), enfin sa reprise dans un cadre savant par les grandes entreprises éditoriales à l’heure de l’imprimerie (XVIe et XVIIe siècles) − partant d’un testimonium pour la cause iconophile (VIIIe siècle), la propagation est ainsi renouvelée par la reprise de la Passio dans des situations historiques bien différentes que celle de sa lecture initiale.
Le colloque a comme vocation de replacer la transmission de la Passio imaginis Salvatoris dans cette histoire multiple.
Thèmes abordés
1. L’Orient
- Premiers textes VIe-VIIIe siècles
- Les dossiers préparatoires grecs VIIIe-XIIIe siècles
- L’image et répétition. L’argument accusatoire VIIIe-IXe siècles
- La variante d’Alexandrie. Le texte copte du pseudo-Cyrille IXe siècle
- Les lieux de mémoire. L’histoire ecclésiastique de Beyrouth à Venise Xe-XVIe siècles
- La transmission grecque Xe-XVIIIe siècles
2. L’Occident
- Les dédicaces lombardes au Saint-Sauveur VIIIe-XIe siècles
- Les usages liturgiques. Saint-Jean du Latran, moines et chanoines Xe-XIIe siècles
- Le dossier du Volto Santo et le culte du vrai sang du Christ XIe-XVe siècles
- Le libellus liturgique de Lucca XIe-XVIe siècles
- Le dossier iconographique XIIe-XIVe siècles
- Les textes accusatoires en France, en Catalogne et en Angleterre XIIe-XVIIe siècles
- Les outils de prédicateur XIIIe-XIVe siècles
3. Critique d’érudition et les érudits
- Le doute dans la Contre-Réforme. La critique d’attribution de Cesare Baronio XVIe siècle
- Le corpus des Mauristes XVIIe siècle
- Les Bollandistes de Papenbroch à Delehaye XVIIe-XXe siècles
Comité scientifique
- Vincent DÉROCHE (Collège de France)
- Michele BACCI (Université de Fribourg)
- Michele FERRARI (Friedrich-Alexander Universität Erlangen)
- Alexandros ALEXAKIS (Université d'Ioannina)
- Niek THATE (IRHT/CNRS)