L’éditeur de textes est-il un auteur ?

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Autres organisateurs
Berra Aurélien, Rouquette Maïeul
Descriptif

La réflexion sur le statut de l'éditeur de texte a été au cœur du débat tant scientifique que juridique l'année dernière autour du différend opposant les maisons d’édition Libraire Droz et Classiques Garnier. Éclairée entre autres par les opinions de spécialistes, la cour concluait que l’édition d’un texte dépourvu d’apparat critique ne pouvait fonder un droit d’auteur, tout en reconnaissant par ailleurs la contribution intellectuelle de l’éditeur. Deux journées d'étude, le lundi 2 et le mardi 3 février, seront consacrées à cette question : L’éditeur de textes est-il un auteur ? Réflexions juridiques et scientifiques à propos de l’édition critique.

Le 27 mars 2014, le tribunal de grande instance de Paris rendait dans un différend opposant les maisons d’édition Libraire Droz et Classiques Garnier un jugement très rapidement commenté dans les milieux de la recherche érudite, d’une part, et dans ceux des spécialistes du droit d’auteur et du copyfraud, de l’autre. Éclairée entre autres par les opinions de spécialistes, la cour concluait que l’édition d’un texte dépourvu d’apparat critique ne pouvait fonder un droit d’auteur, tout en reconnaissant par ailleurs la contribution intellectuelle de l’éditeur.

Au-delà du cas d’espèce, ce jugement est une excellente occasion de s’interroger sur ce qu’est l’édition de textes, notamment celle de textes anciens, et sur ses mutations. Ce secteur des activités historiques et littéraires s’est, du reste, déjà
engagé dans cette réflexion, comme le montrait un récent colloque organisé par l’Institut historique allemand et l’École des chartes sur le thème Pourquoi éditer des textes médiévaux au vingt-et-unième siècle ? De ce point de vue, l’évolution
de l’édition critique, tout comme celle des sciences humaines et sociales en général, a bien sûr été fortement affectée par l’irruption des « nouvelles technologies », puis l’apparition des humanités numériques, en pleine structuration.

Bien avant cet ébranlement numérique, la mise en oeuvre de pratiques très différentes sur des points aussi essentiels que la ponctuation, la restitution des éventuelles abréviations, le traitement des variantes, l’intervention sur le découpage des mots et la transcription des phonèmes montre à quel point l’acte d’éditer n’est pas neutre – sans même évoquer les débats que les éditeurs et érudits ont hérités de Lachmann ou Bédier, porteurs de démarches fondamentalement différentes. Cela frappe d’autant plus que ces différences, si elles sont en partie issues d’aires disciplinaires (latin classique contre latin médiéval ou néo-latin, par exemple), ne s’y limitent pas : entrent en jeu également des traditions nationales en matière d’édition, qui ne sont pas seulement affaire de détails. Derrière les multiples décisions prises par l’éditeur, c’est tout un projet scientifique et intellectuel qui se profile : restitution aussi proche que possible d’un « original » confinant au fac-similé textuel, ou au contraire rumination de différents témoins d’un texte pour en extraire une sorte de version idéale, attention plus ou moins forte portée aux éléments matériels de la tradition, etc. Enfin, les manières
d’éditer dépendent aussi du nombre de manuscrits conservés, des langues à traiter, des éditions antérieures, des visées culturelles des textes transmis – productions originales, commentaires ou compilations – et des lacunes de nos documents, voire du statut scolaire et culturel des auteurs. C’est sur ce substrat, déjà complexe, que viennent se greffer les débats actuels, qu’ils soient numériques ou juridiques.

Afin de permettre une réflexion aussi large et profonde que possible, ces deux journées combineront plusieurs questionnements, appliqués à différents secteurs de l’édition de textes selon des combinaisons variables. La base en sera posée par l’exposé des pratiques scientifiques normalement et actuellement admises dans l’édition de textes littéraires ou diplomatiques, par exemple, pour des périodes allant de l’Antiquité à la Renaissance et des supports incluant tant le parchemin ou le papier que la pierre ou le papyrus. C’est à ces exposés que pourront réagir des juristes issus de divers milieux professionnels (édition, institutions scientifiques, enseignement du droit, militants du libre, notamment) avant qu’une table ronde ne reprenne la matière, cette fois-ci envisagée non plus selon ses divisions typologiques traditionnelles, mais selon des axes méthodologiques transversaux : traitement de la tradition manuscrite, stemmatisation plus ou
moins automatisée, recours à des traitements critiques de plusieurs niveaux (transcriptions simples ou éditions « lourdes »). . . Enfin, un atelier permettra de rassembler les réflexions, de les mettre en acte et d’ébaucher les contours de
bonnes pratiques, en confrontant juristes, techniciens de l’édition et chercheurs autour des dossiers mis sur la table.

Programme

Lundi 2 février

  • 9h30 — Présentation du colloque

Matinée : analyses inscrites dans les champs disciplinaires de l'édition savante

  • 9h45 – Pierre Chiron (université Paris-Est Créteil), « L’édition des textes littéraires et rhétoriques de l’Antiquité, tradition directe, tradition indirecte et tradition “fluide” »
  • 10h15 – Jean-Luc Fournet (École pratique des hautes études), « L’édition papyrologique »
  • 10h45 – Michèle Brunet (université Lyon 2, UMR 5189 HiSoMA), « L’édition scientifique de textes épigraphiques : traditions et changements induits par le numérique »

11h15 – Pause

  • 11h30 – Dominique Poirel (Institut de recherche et d’histoire des textes), « Fidélité, méthode et invention dans l’édition des textes littéraires du Moyen Âge »
  • 12h – Laurent Morelle (École pratique des hautes études), « Éditer, c’est choisir : observations sur les pratiques éditoriales des diplomatistes »

12h30 – Repas

Après-midi : analyses juridiques de la propriété intellectuelle

  • 14h – Sébastien Raimond (université Paris-Ouest Nanterre La Défense, EA 3457 Centre de droit civil des affaires et du contentieux économique), « Enjeux et difficultés de la qualification de l'édition de texte en œuvre protégeable par le droit d'auteur »
  • 14h30 – Pauline Lebbe (Brepols), « Publication d’éditions critiques. Droit belge et international »
  • 15h – Pause
  • 15h15 – Lionel Maurel (juriste et bibliothécaire, auteur du blog S.I.Lex et co-fondateur du collectif SavoirsCom1), « Édition critique, domaine public et copyfraud »
  • 15h45 – Marie-Luce Demonet (avec la collaboration de Denise Pierrot) : « Le Consortium Cahier : réflexions sur la propriété intellectuelle »

Mardi 3 février

9h30 — Table ronde thématique animée par Caroline Macé (KU Leuven) et Rémi Mathis (Bibliothèque nationale de France) réunira les intervenants de la journée du 2 février et traitera de questions transversales, dont les suivantes :

  • textes à tradition unique et textes à tradition pléthorique ;
  • compilations et autres types de texte ;
  • transcriptions et éditions critiques, notamment dans le cadre de l'utilisation d'outils numériques ;
  • édition et stemmatisation semi-automatique.

12h30  Repas

14h  — Atelier : bonnes pratiques juridiques. Cet atelier de formation viendra compléter le colloque, en proposant des méthodes pour rendre juridiquement plus sûr le processus d'édition savante. Il sera animé par Martin Dantant (CNRS, Direction des affaires juridiques, Pôle accords, propriété intellectuelle, valorisation), Erica Durante (Université de Louvain-la-Neuve) et Marc Renneville (TGIR Huma-Num).

INFORMATIONS PRATIQUES

Type d'événement: Journée d'étude
Conditions d'accès
Libre
Pièce(s) jointe(s)