Astronomus e<s>t Philologus

Manuscrit, dessin, astres
Descriptif

Avant l’invention de l’imprimerie (et même après), ce sont souvent les praticiens qui copient eux-mêmes les textes scientifiques constituant leurs disciplines et qui les mettent en forme ; et lorsque c’est le cas, le texte est soumis à une série de manipulations qui révèlent avant tout l’entrelacement de la tradition textuelle et du développement scientifique. Les praticiens s’impliquent dans les textes de différentes manières, parfois dans le paratexte par des gloses et des annotations sporadiques, ou en fournissant de véritables commentaires systématiques. D’autres fois, cependant, ils s’efforcent de produire de nouvelles versions d’un texte dont ils ne sont pas les auteurs, en le manipulant à leur guise. Aussi, il n’est pas rare que les praticiens des sciences fassent preuve d’une forme de raisonnement philologique lorsqu'ils s’emparent des textes (qu’il s'agisse de textes discursifs, de diagrammes, de graphiques, de tableaux, etc.), qu’ils y identifient des anomalies ou des erreurs, qu'ils les signalent et parfois les résolvent, qu’ils sélectionnent ce qu’il faut copier ou pas, ou même qu’ils transcrivent un même ouvrage à partir des multiples versions dont ils disposent. Bref : les praticiens de la science font de la philologie dans le cadre de leur activité scientifique.

La journée d'étude du vendredi 14 février 2025 (9h15-19h15) au campus Condorcet vise à explorer la figure de l’astronome/astrologue en tant que philologue, à stimuler les discussions sur la philologie pratiquée dans le passé par les praticiens des sciences astrales et à encourager la réflexion sur de nouvelles approches philologiques qui feraient passer ces pratiques textuelles de la périphérie au centre de la critique textuelle contemporaine.

  • Pour assister à l'événement en ligne ou en présentiel, veuillez vous inscrire par e-mail auprès de Eleonora Andriani à l'adresse eleonora.andriani@irht.cnrs.fr

Programme

9h15 – 9h45 : Accueil café et salutations.

9h45 – 10h15 : Eleonora Andriani (IRHT, CNRS, Paris), Introduction.

  • 10h15 – 11h30 : Emanuele Rovati (Université de Zurich), « Textual Authority and Textual Variance in Pseudo-Ptolemy’s Centiloquium ».
    Discutante : Agathe Keller (SPHERE– CNRS & Université Paris Cité).

Pseudo-Ptolemy’s Centiloquium, a highly influential collection of astrological aphorisms, was translated from Arabic into Latin six times during the 12th century. These translations often include Abū Jaʿfar Aḥmad b. Yūsuf’s commentary and, less frequently, early glosses and appendices. The extant Latin manuscripts (190+) exhibit a considerable amount of textual variance, even among witnesses of the same translation. This presentation examines the intentional textual modifications introduced by the Centiloquium’s scribes and annotators in the course of the transmission. These alterations usually sought to illuminate the text’s content, rather than to restore the supposed original wording. Textual manipulation therefore emerges as a strategy employed by Medieval scholars and practitioners to engage with an authoritative text such as the Centiloquium (other strategies being, for instance, writing commentaries or adding glosses). Accordingly, we shall reconceptualise textual authority as a potential catalyst for textual variance, rather than as a factor ensuring a stable transmission.

  • 11h30 – 12h45 : Charles Burnett (The Warburg Institute, Londres), « The Problem of the Doublet ».
    Discutante : Karine Chemla (School of mathematics, Université d’Édimbourg et SPHERE – CNRS & Université Paris Cité).

The doublet (leçon double) is a common feature in medieval translations. It describes the phenomenon of two words (or two short phrases) used to render a single word or short phrase in the original text. Strictly speaking, this should not be allowed in a literal translation which espouses the verbum de verbo principle. As a result, the doublet has an insecure position in a translated text. It is sometimes reduced to a single word; or a single word might be expanded into a doublet. This talk examines the status of doublets in Latin works on the science of the stars in the Middle Ages and shows how they occupy an intermediate position between translation and exegesis.

12h45 – 14h : Pause déjeuner

  • 14h – 15h15 : Arianna Borrelli (Technische Universität Berlin et Université de Bielefeld), « The Invisible Philologists: The Manuscript as a Product of Collective, Non-written, and/or Non-verbal Practices of Knowledge Transmission ».
    Discutante : Isabelle Draelants (IRHT, CNRS, Paris).

The earliest evidence of a transfer of astral-mathematical knowledge from the Arabic-Islamic to the Latin-Christian culture includes a number of manuscripts dating back to the early 11th century. They have an apparently fragmentary character, including excerpts from late ancient authors, short texts on how to construct and use quadrantes, sundials, or astrolabes, as well as drawings of those instruments and their geometrical structures, and tables of latitudes and star positions. Despite the use of Arabic terms and characters, none of the texts can be identified as a translation from the Arabic, and historians have usually regarded them as (mostly defective) derivations from lost original translations. I have instead argued that such an original does not exist, and that the manuscripts can be understood as written traces of a process of knowledge transmission based on oral communication, practical teaching, and internalizing of geometrical construction procedures. It was a largely collective process in which memory and embodied knowledge played a central role, aided by note-taking and occasionally mnemonic verses. Thus, instead of trying to reconstruct a hypothetical lost original by picking fragments from different manuscripts, I suggest treating each individual manuscript as an organic unit, looking for the inner connections beyond the apparent fragmentation to tentatively reconstruct the epistemic framework which led to its creation. No full reconstruction of historical-epistemological constellations largely based on orality and embodied knowledge can be expected, yet the exercise may help appreciate the key epistemic role of instruments such as sundials or astrolabes as mediators of knowledge in the astral sciences of the time. I will begin my presentation by sketching my general thesis and then try and demonstrate its potential by analyzing the first folios of the manuscript BnF lat. 7412.

  • 15h15 – 16h30 : Sophie Serra (Université de Lund), « Guillaume de Saint-Cloud, astronome, auteur, correcteur, translateur ».
    Discutante : Maria Sorokina (IRHT, CNRS, Paris).

L’œuvre de Guillaume of Saint-Cloud (né en 1255, et actif jusqu’aux années 1290) constitue un terrain d’exploration particulièrement intéressant de l’entrelacement entre la transmission textuelle et le développement scientifique de l’astronomie parisienne au XIIIe siècle. En effet, on peut relever trois caractéristiques frappantes de l’œuvre de Guillaume à travers lesquelles se déploie cette combinaison. Premièrement, ses écrits sont émaillés de déclarations à la première personne, où il se met en scène au travail, évoque ses propres observations et le cadre dans lequel elles ont été réalisées, propose des contributions ingénieuses, et fait part à son lecteur de ses intentions, ce qui contribue à en dessiner un portrait particulièrement vivant et incarné, en tant qu’auteur. Deuxièmement, on trouve dans les travaux de Guillaume de nombreuses déclarations au sujet des erreurs qu’il se donne pour tâche de corriger ou d’amender, qu’il s’agisse d’erreurs scribales, d’erreurs de calcul ponctuelles, d’erreurs d’observation ou de défauts de conception des tables. Ce faisant, il se situe dans une chaîne de transmission matérielle et conceptuelle, en lien avec ses prédécesseurs, contemporains et successeurs. Troisièmement, Guillaume a lui-même traduit en français deux ouvrages pour des laïcs de la cour royale de France (le Kalendarium reginae fut traduit en Calendrier de la reine et le Directorium en Adresceoir). Ces traductions montrent des changements dans le contenu, son organisation, et la terminologie employée, qui démontrent son souci pour l’adaptabilité de ses travaux en fonction de leur lectorat. Cette communication se donne pour objectif de présenter Guillaume en ses oeuvres, assumant ses trois rôles d’auteur, correcteur, et translateur, et de déterminer comment il maintient, dans chacun, un équilibre entre innovation et fidélité propre à sa conception du travail astronomique.

16h30 – 17h00 : Pause café

  • 17h – 18h15 : Jean-Patrice Boudet (Université d’Orléans), «Henri Bate, annotateur de la traduction d’Hagin le Juif du Commencement de sapience d’Abraham ibn Ezra».
    Discutant : Oleg Voskoboynikov (Chercheur indépendant).

Les traductions de l’hébreu en français des traités astronomiques et astrologiques d’Abraham ibn Ezra, effectuées par Hagin le Juif en 1273 et un peu plus tard à la demande d’Henri Bate de Malines, étaient des traductions littérales qui étaient (et sont encore !) fort difficiles à comprendre. Dans le manuscrit français 24276 de la BnF, copié pour Pierre de Limoges, on voit ainsi de nombreuses annotations marginales du scribe, annotations visiblement copiées sur l’exemplaire original d’Henri Bate et attribuabes à ce dernier. On prendra ici l’exemple du premier et du plus important de ces traités, le Commencement de sapience, où quelque 70 annotations marginales en latin et en français témoignent des tentatives d’identification linguistique d’Henri Bate, d’autant plus louables et délicates qu’il ne maîtrisait pas correctement l’hébreu, ce qui contribue à expliquer qu’il n’a pu achever sa traduction latine du Commencement qu’en 1292.

  • 18h15 – 19h15 : Glenn W. Most (Scuola Normale Superiore de Pise), Conclusion et discussion génerale.

INFORMATIONS PRATIQUES

Type d'événement: Journée d'étude
Conditions d'accès
Libre
Date des séances
14/02/2025 - 09:30
Lieu :

Campus Condorcet

Pièce(s) jointe(s)