[Appel à communications] Les bonnes gens des bonnes villes : urbanité et consensus religieux

Cathédrale, remparts, ville
Equipe
Autres organisateurs
Adrien Ferré (U. Rouen Normandie/GHRis)
Thomas Schneider (U. Limoges/CRIHAM)
Descriptif

Un appel à communications est lancé pour la journée d’étude du groupe de travail sur Paris et les villes au Moyen Âge intitulée Les bonnes gens des bonnes villes : urbanité et consensus religieux (XIIIe-XVIe siècles, espaces septentrional et méridional «français») et organisée par Adrien Ferré (U. Rouen Normandie/GHRis) et Thomas Schneider (U. Limoges/CRIHAM) vendredi 16 juin 2023 au Campus Condorcet (Aubervilliers).

Il y a quarante ans, Bernard Chevalier livrait la somme de ses recherches sur les « bonnes villes » dans un ouvrage (Les bonnes villes de France du XIVe au XVIe siècle, 1982) où il exposait, à partir de l’exemple de Tours, les différents aspects structurels de ce système urbain au temps de la première modernité, de 1330 au début de la monarchie absolue, dans lequel il voyait un « modèle original d’urbanisation ». Même si, pour lui, ce nom de « bonne ville » était alors un nom familier et reconnu, c’est néanmoins une construction discursive ambiguë et Cléo Rager a récemment mis en évidence les hésitations de l’historiographie actuelle à reprendre cette modélisation, et même à s’emparer d’un terme dont la plasticité « dès l’époque médiévale, désignait plusieurs réalités selon les locuteurs », relevait d’un statut variable, entre « ville royale et modèle urbain ». Ce « modèle urbain original […] qui se construit avec l’État royal », compris comme un « nouveau rapport à l’espace », rappelons-en les critères de définition posés par Hélène Noizet :

  • son enceinte qui lui permet d’affirmer son identité dans son unité ;
  • la représentativité qui y est exercée par un « corps de ville » aux mains d’une élite bourgeoise affirmant agir au nom du bien commun de la population ;
  • sa dynamique d’attraction des pays environnants « auxquels elle impose un ordre et un modèle » ;
  • sa culture urbaine, marquée par des « pratiques festives et religieuses particulières ».

Sur ce dernier critère, un cycle s’est tenu en 2016-2018 sur les pratiques religieuses des Parisiens entre le XIIe et le XVe siècle, organisé à l’Institut de recherche et d’histoire des textes (IRHT) dans le cadre du séminaire sur l’histoire de Paris au Moyen Âge. Ce cycle, dont les communications ont fait l’objet d’une publication en avril 2021 dans la revue Histoire urbaine, a permis de revenir sur les formes de la piété à Paris, qu’elle soit encadrée ou spontanée, en interrogeant les cultes affectionnés par les Parisiens, en particulier les élites laïques et cléricales, et la manière dont elles investissent l’espace pour les usages religieux.

C’est dans la continuité de ces travaux, à une échelle plus large, que nous proposons cette journée d’études, qui se veut un moment singulier voué à réexaminer les pratiques religieuses mises en œuvre par les « bonnes gens » des bonnes villes. Nous empruntons à Bernard Chevalier le concept d’urbanité, associé à l’urbanisation, c’est-à-dire ce nouveau modèle culturel dans lequel la religion occupe une place essentielle. C’est ce que mettent aussi en évidence les travaux menés en terre d’Empire sur les relations entre religion et identité urbaine, notamment ceux d’Olivier Richard pour Ratisbonne. Là, au XVe siècle, alors que « memoria personnelle, religion civique et volonté du patriciat d’affirmer son pouvoir allaient de pair […] le Conseil avait réussi à imposer une identité religieuse commune à la ville ». Le fait religieux était également un des facteurs retenus pour questionner la construction de l’identité des villes du Midi français par Patrick Gilli et Enrica Salvatori en 2011, question à laquelle Jean-Paul Boyer répondait notamment, pour Marseille, en mettant en évidence la « sainteté civique » élaborée en particulier par la municipalisation du culte de saint Louis, validée par la monarchie en 1339-1340. Alors, peut-on aussi, dans l’espace « français », comprendre la bonne ville sans étudier les liens entre « bonnes gens » et pratiques religieuses, dans l’élaboration d’un consensus qui leur permettrait de faire corps et d’affirmer leur identité ? Tel est l’objet de cette journée d’études, qui, à plusieurs égards, se propose d’élargir les champs d’investigation.

Par « bonnes gens », avant d’en préciser davantage les contours, on comprendra ici non seulement les laïcs, mais aussi la part que leurs familles consacrent aux clercs, notamment aux chanoines des chapitres cathédraux ou collégiaux, fils et frères des premiers, tant il est vrai que les deux sphères interagissent dans une porosité fructueuse au service d’une même affirmation sociale.

De même, sans nous limiter aux champs temporel et spatial dans lesquels le modèle de la bonne ville se révèle probant, nous proposons d’ouvrir l’enquête plus largement. En effet, si la « bonne ville » existe réellement à partir du XIVe siècle, les « bonnes gens » apparaissent plus tôt. L’expression « bona gens » est, par exemple, utilisée dès le milieu du XIIIe siècle à Limoges, et reflète manifestement le regard que cette élite porte sur elle-même, alors que la ville n’est pas encore dans l’espace capétien. Nous proposons donc de laisser remonter notre regard d’historien jusqu’au prélude des bonnes villes, au siècle où les acteurs de l’urbanité sont déjà en place, pour ainsi dire dans une « bonne ville en devenir », sous le regard d’un prince qui peut ne pas être le roi de France.

Par ailleurs, ne souhaitant pas limiter le champ d’investigation à l’espace septentrional où le modèle de la bonne ville a fleuri, nous associerons à notre démarche l’espace méridional, dans un « dialogue nord-sud » destiné à vérifier, par quelques jalons, si et comment les bonnes gens font corps dans leur ville par leurs pratiques religieuses, si et comment l’urbanité qu’elles y construisent entre en résonance dans tout l’espace correspondant à la France de la fin du Moyen Âge.

L’historiographie tend à distinguer quelques thématiques majeures concernant les pratiques religieuses des bonnes gens de la « ville en prière ». Dans quelle mesure ces pratiques servent-elles à l’élaboration d’un consensus qui permettrait à la communauté des bonnes gens de faire corps sous le regard du prince ? Dans cette perspective, plusieurs axes sont proposés :

  • Axe n° 1 : Entre dévotion et affirmation « sociale » des bonnes gens : confréries et conseils de fabrique, ferments de consensus ou de dissension du corps urbain ?

À la fois corps constitués et fraternités, sociétés de secours mutuel et d’amitié fraternelle, placées sous le patronage d’un saint ou de la Vierge, les confréries, de par leurs multiples dimensions et leur omniprésence dans les bonnes villes, sont au cœur du consensus religieux et contribuent à structurer une société qui se conçoit comme un corps. Il en est de même, à l’échelle de la paroisse, des conseils de fabrique, première étape dans le cursus de représentativité et d’affirmation des bonnes gens. Les « Grandes confréries », que Bernard Chevalier qualifie même de « clubs mondains », sont particulièrement recherchées par les élites urbaines des bonnes villes et entretiennent des relations privilégiées avec le prince. Comment les « bonnes gens » se sont-elles emparées de ces formes de sociabilité et de spiritualité, participant ainsi à l’émergence de l’urbanité, cet « art de vivre en ville qui se révèle comme bien commun des citadins », selon la formule de Bernard Chevalier ? Comment confréries ou conseils de fabriques participent-ils de la recherche du consensus, tant religieux que social, dans les bonnes villes du royaume ? Jusqu’à quel point les confréries sont-elles un instrument d’inclusion sociale ? Quelle y est la part des femmes, quel y est leur rôle ? Comment les confréries auxquelles appartiennent les bonnes gens s’investissent-elles vis-à-vis des plus pauvres ? Sont-elles un alibi de l’entre-soi ou ont-elles un réel rôle pour rendre la société plus inclusive ?

Quant aux « Grandes confréries », quelle place occupent-elles dans le contrat social qui unit les bons bourgeois et le prince ? Catherine Vincent et Bernard Chevalier ont déjà débattu de leur vocation communautaire à l’échelle de la ville. Avons-nous matière aujourd’hui à approfondir cette question et à (ré)interroger leur rôle dans l’affirmation identitaire de la bonne ville ?

Et si confréries ou conseils de fabriques participent au consensus et à l’urbanité, ne peuvent-ils pas être également des facteurs de dissensions ? Quid du bon bourgeois qui en serait exclu ? Son éviction s’accompagne-t-elle de sa mise au ban de la bonne ville, de sa mort sociale vis-à-vis de ses pairs, de sa disgrâce vis à vis du prince ? De même, dans quelle mesure ces associations seraient-elles ainsi des ferments de structuration des oppositions, et de quel ordre ? face aux étrangers à la ville ? entre différentes composantes du corps urbain ? Peuvent-elles aussi être des creusets de révoltes contre le prince ?

  • Axe n° 2 : Les bonnes gens et le renouvellement des spiritualités urbaines : quelles implications ?

Le clergé et les pratiques spirituelles et dévotionnelles connaissent, entre le XIIIe et le XVIe siècles, de profondes transformations, et notamment dans les villes, foyers de ce renouvellement. La grande diversité du clergé en ville est marquée par l’apparition et le succès des frères mendiants, essentiels car ils assurent le prêche dans une perspective éducative, et sont, selon Bernard Chevalier, « les seuls médiateurs entre l’« Église des doctes et la piété commune », en particulier auprès d’une élite en demande et en recherche d’une autre spiritualité, et dont il faut réussir à encadrer ou recadrer la tentation de l’hétérodoxie. Ainsi, apparus pendant l’essor des villes, et installés dans des couvents urbains, Franciscains, Dominicains, puis Carmes et Augustins, sont en contact direct avec les bonnes gens. Le succès de leurs prédications, qui rassemblent une grande partie de la communauté urbaine, tout comme leur réputation de bons intercesseurs, se lit par exemple dans le prêche de saint Antoine à Limoges en 1224, où la foule est tellement nombreuse qu’il doit la rassembler dans les vestiges de l’amphithéâtre antique, un des plus grands de la Gaule romaine, ou dans celui du célèbre Frère Richard à Paris en 1429 où, durant dix jours, près de 5 à 6000 Parisiens se pressent quotidiennement au cimetière des Innocents pour l’entendre. Mais qui a invité saint Antoine et frère Richard à prêcher ? L’évêque ? le corps municipal ? une confrérie ? Se pose ici la question de l’implication des bonnes gens dans l’organisation de ces nouvelles formes de spiritualité.

Toutefois, si les ordres mendiants semblent essentiels pour comprendre les transformations de la spiritualité urbaine, le rôle du clergé séculier, évêques, prêtres ou chanoines, dans ces bouleversements et leurs réactions, ne doit pas être négligé, de même que la place des religieuses (clarisses et dominicaines par exemple) au cœur des bonnes villes. Ce fourmillement fervent invite donc à se demander dans quelle mesure les bonnes gens, laïcs et clercs, sont acteurs, et non seulement témoins ou simples bénéficiaires, de ce renouvellement des spiritualités ? Comment accompagnent-ils l’installation des nouveaux ordres, à leur arrivée ou lors d’un éventuel déplacement de leur couvent ? Font-ils, par exemple, œuvre de mécènes ? Cette dynamique participe-t-elle à l’élaboration d’une spiritualité spécifiquement urbaine, dont les testaments des élites, par exemple, constitueraient un témoignage ? Leurs dispositions testamentaires pourraient-elles d’ailleurs jouer un rôle pédagogique auprès des autres composantes du corps social ? Quelles sont plus généralement les modalités de l’implication des bonnes gens au service d’une telle efflorescence spirituelle ?

  • Axe n° 3 : Les bonnes gens, relais d’un culte promu par le prince, composante de l’urbanité ?

Promouvoir le culte d’un saint est pour un prince, qu’il soit laïc ou ecclésiastique, une des stratégies pour affirmer sa puissance. Entre dévotion personnelle et fine politique, les raisons sont multiples, pour le roi, la reine, la haute aristocratie (princes et princesses laïcs, grands ecclésiastiques), les grandes familles féodales, de fonder, en particulier ici dans l’espace des bonnes villes, chapelles, collégiales, monastères, pour y faire desservir ce culte en même temps que leur memoria, celle de leur lignage, et y inscrire leur pouvoir dans la durée. Dans les bonnes villes en devenir ou déclarées telles, un tel culte est-il une composante de l’urbanité que construisent les bonnes gens et à quel degré ? S’impliquent-elles dans la promotion de ce culte, à quel point et de quelle manière ? Y contribuent-elles, là encore, sous forme de mécénat ? Quelle part de leur sang y consacrent-elles, en donnant des fils ou des filles à la communauté chargée d’assurer ce culte, dans le monde monastique ou canonial ? Sans minimiser le rôle des communautés régulières, il semble ici particulièrement intéressant d’étudier la question par le prisme des chapitres canoniaux. En effet, les chanoines, clercs séculiers, sont excellemment placés à l’interface entre les bonnes gens et le prince, acteurs avec lesquels ils entretiennent des relations privilégiées : socialement issus, au moins en partie, des familles des bonnes gens, les chanoines sont aussi le conseil de l’évêque et le vivier où le pouvoir princier puise souvent les agents au service de sa politique. Y aurait-il ici un vecteur remarquable de liens, à la fois spirituels et politiques, tissés entre les bonnes gens et le prince ?

Modalités de soumission

L’appel s’adresse aux historien(ne)s, mais aussi aux historien(ne)s de l’art. Les communications, d’une durée maximale de vingt minutes, seront suivies d’un temps de discussion. Les propositions de communication, comportant entre 3 000 et 4 000 caractères (espaces compris), accompagnées d’une courte biographie précisant les affiliations, seront à envoyer avant le 10 décembre 2022, aux organisateurs : Adrien Ferré (Université Rouen Normandie/GHRis, adrien.ferre@univ-rouen.fr) et Thomas Schneider (Université Limoges/CRIHAM, thomas.schneider@unilim.fr).

Comité scientifique

  • Caroline Bourlet (CNRS-IRHT)
  • Boris Bove (Université Rouen Normandie/GHRis)
  • Adrien Ferré (Université Rouen Normandie/GHRis)
  • Marlène Helias-Baron (CNRS-IRHT)
  • Anne Massoni (Université Limoges/CRIHAM)
  • Hélène Noizet (Université Paris I Panthéon Sorbonne/LAMOP)
  • Cléo Rager (Université Lille/ALITHILA)
  • Thomas Schneider (Université Limoges/CRIHAM)

INFORMATIONS PRATIQUES

Type d'événement: Journée d'étude
Conditions d'accès
Libre
Lieu :

Campus Condorcet